Discours prononcé par la Chancelière fédérale, Madame Angela Merkel, lors de la réception annuelle donnée pour le Corps diplomatique à la chancellerie fédérale

  • Page d'accueil
  • Le gouvernement fédéral

  • Actualités

  • Service

  • Médiathèque

Discours prononcé par la Chancelière fédérale, Madame Angela Merkel, lors de la réception annuelle donnée pour le Corps diplomatique à la chancellerie fédérale

á Berlin

Le mercredi 11 juin 2014 à Berlin

Monsieur le Nonce,
Excellences,
Monsieur le Ministre,
Cher Monsieur Altmaier en votre qualité de chef de la Chancellerie fédérale,
Messieurs les ministres adjoints et secrétaires d’État,
Mesdames, Messieurs,

Notre traditionnelle cérémonie de vœux au Corps diplomatique s’est transformée cette année en réception estivale et je m’en félicite. Nous regrettons certes de ne pas avoir pu mettre à exécution notre projet initial qui était de vous accueillir au château de Meseberg. Nous ferons peut-être un nouvel essai l’année prochaine en supposant que le temps soit plus clément. En effet, ce sont les avis de tempêtes qui nous ont empêchés de vous recevoir dans ce lieu. J’espère toutefois que vous apprécierez le cadre de la Chancellerie fédérale en cette saison où le gazon est beaucoup plus vert et où je suis très heureuse de vous souhaiter la bienvenue aujourd’hui.

En cette année 2014, nous commémorons toute une série d’anniversaires majeurs nous rappelant des événements qui marquent aujourd’hui encore de leur empreinte le visage de l’Allemagne et de l’Europe. Nous évoquons le début de la Première Guerre mondiale, il y a cent ans. J’ai inauguré récemment une exposition qui y est consacrée au Musée de l’Histoire allemande et que je recommande vivement à ceux qui ne l’ont pas encore visitée.

Les objets qui y sont exposés et les explications qui les accompagnent replacent le visiteur dans le quotidien des horreurs de la guerre. Cet événement de grande portée qu’est le centenaire de la Première Guerre mondiale nous fait prendre conscience encore une fois des causes de l’échec complet auquel ont été vouées la politique et la diplomatie de l’époque. Une question qu’il ne suffit pas de replacer dans son contexte historique mais qui nous touche et nous préoccupe jusqu’à aujourd’hui, en notre qualité de responsables politiques ou de diplomates. Nous nous voyons régulièrement confrontés à la question de savoir quels sont les enseignements que nous avons tirés de l’Histoire ?

La crise de juillet 1914 à l’origine de la Première Guerre mondiale était due essentiellement à l’absence de dialogue. En dépit des relations personnelles ou des liens de parenté que de nombreuses personnalités entretenaient les unes avec les autres par delà les frontières nationales, il régnait à l’époque un climat non pas de confiance mais plutôt de méfiance qui s’accompagnait d’un manque de sens des responsabilités partagées.

Tel est pour moi, pour le gouvernement fédéral, pour le ministre fédéral des Affaires étrangères ainsi que pour tous ceux qui travaillent au sein de ce gouvernement, l’enseignement que nous devons en tirer : plutôt que de parler les uns des autres, nous devons toujours essayer de parler les uns avec les autres, même si certains sujets donnent matière à controverse, et chercher le dialogue. En dépit du flot d’informations qui nous parviennent en temps réel, rien ne saurait remplacer aujourd’hui un entretien personnel. Voilà ce qui fait l’un des grands mérites de la diplomatie.

Néanmoins, la diplomatie se heurte à des limites lorsqu’elle est confrontée à des idéologies fondées sur le mépris de la dignité humaine. Il y a soixante-quinze ans, l’Allemagne nazie déversait sur le monde une terreur jusque là inimaginable qui allait faire des millions de victimes. La Seconde Guerre mondiale et le choc de civilisation qu’a été la Shoah ont écrit le chapitre le plus atroce de l’histoire allemande.

Sur la toile de fond des catastrophes qui ont marqué la première moitié du XXe siècle, l’unification européenne semble tenir du miracle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs personnalités européennes, animées d’un profond espoir de paix, de liberté et de bien être et d’un esprit clairvoyant, ont commencé à jeter des ponts par delà les fossés profonds que la guerre et les anciennes inimitiés avaient creusés. Cet espoir devait se réaliser lentement sans que rien ne puisse l’arrêter.

Nous célébrerons le 9 novembre prochain le vingt-cinquième anniversaire de la chute du mur de Berlin, cet événement qui a ouvert la voie de l’unité allemande. Après avoir été pendant plusieurs décennies le théâtre de la division et de la confrontation des deux blocs, notre pays et l’ensemble de notre continent étaient enfin unifiés. Le grand processus d’élargissement de l’Union européenne à l’est
se déroula il y a dix ans. Aujourd’hui, nous vivons dans des démocraties au sein desquelles nous réglons nos divergences de vues et nos conflits d’intérêts de manière pacifique et par la voie de négociations.
Toutefois, les enseignements que nous avons tirés de notre histoire ne se limitent nullement à l’Europe. Ils nous obligent au contraire à nous investir dans le monde entier en faveur de la paix et de la liberté, de l’état de droit et de la démocratie. Ces valeurs essentielles qui régissent notre vivre ensemble découlent du grand principe consigné à l’article premier de notre Loi fondamentale et auquel nous, Allemands, attachons tant de prix : « La dignité de l’être humain est intangible ».

Toutefois, nous savons bien aussi que nous ne pouvons convaincre les autres de notre façon de vivre et de travailler que si notre économie est forte. C’est ce qui explique pourquoi, dès la première heure, la prospérité et la sécurité sociale ont constitué, à côté de la paix et de la liberté, la troisième grande promesse liée à l’unification européenne. C’est là une bonne chose et il faut qu’il en reste ainsi.

La crise que certains pays de la zone euro ont traversée ces dernières années a néanmoins secoué les esprits et nous a montré que la forte position que l’Europe occupe dans le monde est loin d’être acquise. La prospérité se construit au prix d’efforts constants. Pour devenir encore plus compétitifs au sein de l’Union européenne, il faut que nous nous concentrions sur l’essentiel. Cela signifie que nous devons poursuivre la consolidation des finances publiques, respecter nos règles en Europe, mieux exploiter notre marché intérieur, ce marché commun qui est le plus grand du monde, et que nous devons créer de nouvelles opportunités en nouant des partenariats dans le monde entier.

C’est également dans ce contexte qu’il faut placer le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement qui est en cours de négociation, comme c’est le cas de nombreux accords de libre échange avec d’autres pays du globe. Nous voulons conclure un accord qui confère une nouvelle dimension aux relations entre l’Union européenne et les États-Unis, tant sur le plan économique que politique.

Il ne fait aucun doute que les articles sur le stockage des données numériques et sur la protection de la vie privée à l’ère numérique ont également mis en évidence des divergences de vues dans le cadre du partenariat transatlantique. Ce qui importe maintenant, c’est de rétablir la confiance. Aussi avons-nous besoin d’un large débat sur les rapports entre liberté et sécurité, entre lesquelles il y a toujours un certain antagonisme et il faut sans cesse rétablir l’équilibre. Ce débat, nous le menons en ayant constamment à l’esprit que le partenariat transatlantique est un bien précieux, précisément face aux enjeux mondiaux.

Aussi l’Alliance de l’Atlantique Nord demeure t elle un pilier solide et fiable de notre sécurité, et cela depuis plus de soixante ans tant pour les citoyens d’Amérique du Nord que pour les Européens. Nous verrons dans quelques mois, lors du sommet de l’OTAN qui se déroulera au pays de Galles, que si les enjeux ont changé, la nécessité de notre alliance est restée la même.

Il suffit d’évoquer l’Afghanistan. Le second tour des élections présidentielles qui s’est ouvert aujourd’hui marque un tournant décisif pour ce pays de l’Hindou Kouch. Le déroulement du scrutin et le taux de participation élevé, parmi les femmes également, montrent que les Afghans veulent participer activement au développement de leur pays. Ils veulent saisir la chance historique qui leur est offerte de contribuer au premier changement de pouvoir de l’histoire de l’Afghanistan qui se fait dans la paix et la démocratie. Désormais, les Afghans seront seuls responsables de la reconstruction, de la stabilité, de la sécurité et de la protection des droits de l’homme. Cela est devenu possible grâce aux pays de l’OTAN et aux nombreux autres partenaires qui ont uni leurs efforts à l’échelle mondiale. Je tiens à le souligner expressément : tous nos vœux de réussite accompagnent l’Afghanistan.

Il y a eu ces derniers jours une autre élection présidentielle que nous avons également suivie avec une grande attention. L’Ukraine vient d’élire un nouveau chef d’État dans un contexte général difficile. Maintenant, il faut tout mettre en œuvre pour que le pays voit se réaliser son espoir de prendre un nouveau départ, qu’il s’agisse de la lutte contre la corruption, du renforcement de l’état de droit, de la sauvegarde des droits de l’homme, du développement économique ou de l’intégrité territoriale. L’Allemagne tient à assurer le nouveau président de son soutien dans l’accomplissement de cette lourde tâche.

Jeudi dernier, les chefs d’État et de gouvernement du G7 ont lancé un nouvel appel pressant à la Russie pour qu’elle respecte les engagements qu’elle a pris dans la déclaration de Genève en date du 17 avril et qu’elle reconnaisse le nouveau gouvernement de Kiev. Car la situation qui règne dans certaines parties de l’est de l’Ukraine reste inquiétante. Nous voulons tous que les armes se taisent dans cette région. C’est seulement à partir de ce moment là que le nouveau président ukrainien pourra se concentrer sur les réformes nécessaires.

Nous vivons ensemble dans la paix et la prospérité en Europe parce que nous avons réussi à imposer la force du droit à la place du droit du plus fort. Toutefois, le conflit ukrainien nous a montré que la paix et la liberté ne sont pas une évidence au XXIe siècle et qu’elles sont le fruit d’efforts constants. Je tiens donc à souligner qu’il reste important de maintenir les ponts qui existent et d’en jeter de nouveaux, par le biais du dialogue et de la diplomatie.

C’est là également l’un des objectifs de notre politique européenne de voisinage. Il ne s’agit pas, et je tiens à le répéter aujourd’hui ici, d’une politique impliquant un choix entre deux alternatives. Bien au contraire : entretenir de bonnes relations avec l’Union européenne signifie également entretenir de bonnes relations avec la Russie. Deux priorités à nos yeux. Cela vaut pour l’Ukraine comme pour la Géorgie, pour la République de Moldova et pour d’autres États.

Mesdames, Messieurs,
Nul d’entre nous ne sait bien sûr le jugement que l’on portera dans cent ans sur notre époque. Si je pouvais formuler un vœu, j’aimerais que l’on nous juge comme des ancêtres capables de tirer les enseignements de leur expérience, des personnes qui ont surmonté l’absence de communication, ont donné la priorité au dialogue et su résoudre les conflits d’intérêt par la voie pacifique. Malheureusement, la réalité est tout autre et il semble que nous en soyons encore bien loin.

La catastrophe humanitaire qui se déroule en Syrie est là pour nous le rappeler. Elle a déjà fait beaucoup trop de victimes et a contraint des millions de personnes à fuir. L’Allemagne a le plus grand respect pour la contribution qu’apportent les pays voisins, c’est à dire la Jordanie, le Liban, la Turquie et l’Iraq, qui accueillent un nombre particulièrement important de réfugiés venant de Syrie et leur apportent leur soutien. À la date d’aujourd’hui, ce sont quelque 40 000 réfugiés qui sont arrivés en Allemagne et leur nombre augmente tous les jours. Même si, à l’heure actuelle, les chances apparaissent minimes de trouver une issue pour sortir rapidement de la catastrophe, la communauté internationale poursuivra ses efforts inlassables pour parvenir à un règlement de cette crise.

Les événements qui se déroulent en Afrique du Nord et au Moyen-Orient prouvent combien le chemin peut être long et difficile avant d’instaurer la stabilité au sein des sociétés. L’Allemagne est prête à accompagner les pays arabes dans les efforts qu’ils déploient pour renforcer la démocratie et l’état de droit et améliorer leur développement économique. Cela vaut également pour l’Afrique dans son ensemble qui nous offre une image très différenciée. Sur ce continent qui est notre voisin, nombre de pays connaissent un développement remarquable. La naissance d’une classe moyenne de plus en plus importante reflète une prospérité en hausse qui ne se concentre plus que sur quelques uns. En revanche, on y voit aussi des pays où les conflits perdurent comme par exemple le Soudan du sud ou l’Afrique centrale pour ne citer que ceux là.

Il n’est pas possible d’instaurer la paix et la stabilité en agissant de l’extérieur. Ce sont les régions elles-mêmes qui en sont responsables en dernier ressort. Nous en avons parlé également lors du sommet UE Afrique qui s’est tenu il y a un peu plus de deux mois. Toutefois, l’Allemagne et l’Union européenne sont prêtes à apporter une contribution aux côtés de nos partenaires africains afin de renforcer durablement l’architecture de sécurité sur le continent africain. La coopération avec l’Afrique comptera également parmi les priorités de la présidence allemande du G7.

En 2015, la communauté internationale devra fixer des orientations importantes sur des dossiers que nous placerons également à l’ordre du jour de notre présidence du G7. Nous devons tout mettre en œuvre pour permettre l’aboutissement des négociations concernant un nouvel accord sur le changement climatique fin 2015 à Paris. Nous avons besoin par ailleurs d’un agenda de suivi pour les Objectifs du Millénaire pour le développement qui viendront à expiration en 2015, étant bien entendu que nous sommes également appelés à faire le maximum pour réaliser aussi les objectifs que nous n’avons pas encore remplis. Du point de vue de l’Allemagne, je dirais que notre ambition consiste à considérer la lutte contre la pauvreté et le développement durable comme les deux faces de la même médaille car nous sommes convaincus qu’ils se conditionnent mutuellement.

Mesdames, Messieurs, les enjeux mondiaux requièrent des réponses mondiales. Même si cela ressemble à une vérité de La Palice, il n’en reste pas moins que cela s’avère souvent très difficile dans la pratique quotidienne. Néanmoins, en dépit de tout le travail qu’il nous faudra déployer – comme vous l’avez laissé entendre dans les attentes que vous avez formulées –, nous pourrons peut-être également puiser de l’inspiration dans la Coupe du monde de football qui démarre demain au Brésil. Je partage la joie de tous ceux et celles qui attendent cette grande fête du sport suscitant l’enthousiasme de plusieurs millions de personnes de par le monde tout en tissant entre elles des liens particuliers. En effet, la beauté d’une telle Coupe du monde réside précisément dans le fait que, malgré toutes les rivalités sportives, ce sont toujours la passion et le plaisir du jeu qui dominent et qui remportent la victoire.

L’esprit d’équipe, les dirigeants politiques et les diplomates en ont besoin, eux aussi. À ce propos, je voudrais vous remercier de votre coopération, vous qui êtes les dignes représentants de vos pays, et je forme des vœux pour qu’à l’avenir, nous soyons tous de bons joueurs sur le terrain. Soyez les bienvenus !

Partager la publication